Qu’est-ce que le latéral-frontal ?
« Dans la structure latéral-frontal, l’important, c’est le latéral et non le frontal »
– Qiao Liang et Wang Xiangsui, La guerre hors limite (2006)
L’objet de cet article est d’étudier les implications du principe stratégique universel du latéral-frontal sur le champ de trois thématiques : la guerre, la politique et la mercatique.
Pourquoi seulement trois ?
Car, en raison d’objectifs de référencement naturel (SEO), la rédaction de mes articles doit répondre à des résultats quantitatifs et qualitatifs, mais également à des critères limitatifs.
Je tiens cependant à rappeler qu’un principe stratégique n’en est un que s’il est universel, même si cet article ne traite le principe du latéral-frontal que sur ces seules thématiques, ce principe vaut en fait pour toutes les thématiques si tant qu’il est vrai.
Les origines du principe latéral-frontal
Le latéral-frontal est un principe militaire qui consiste à soutenir ou à porter le choc d’une offensive frontale tout en attaquant sur les flancs. En sommes on peut le définir comme une combinaison de l’approche directe et de l’approche indirecte avec une stratégie frontale pour attirer l’attention et une stratégie latérale pour surprendre.
Les effets sont multiples car cette stratégie permet de susciter la panique de l’ennemi, ce qui amène à la désorganisation, puis la déroute comme durant la bataille de Gaugamèles le 1er octobre 331 av. J.-C. qui vit la victoire du roi de Macédoine Alexandre le Grand contre le roi Darius III de Perse. Alexandre le Grand prenant le commandement de sa cavalerie engagea les forces de Darius III sur ses flancs, tandis que les hoplites grecs et macédoniens tenaient en respect les forces achéménides.
Cette stratégie revient à porter l’épée au flanc de l’adversaire ou à le frapper là où il ne s’y attend pas.
La fameuse bataille a marqué la fin de l’empire achéménide et est un exemple d’application de ce principe dans un contexte particulier, l’antiquité durant une guerre de conquête, avec une méthode spécifique, la combinaison tactique infanterie-cavalerie, pour une activité de nature strictement militaire.
Li Shimin1 dit : « Quand je fais de la surprise une règle, l’ennemi s’attend à une surprise ; je l’attaque alors selon la règle. Quand je fais de la règle une surprise, l’ennemi s’attend à une attaque selon la règle ; je l’attaque alors par surprise. »
Ce principe est en mon sens une expression abstraite mais pertinente de la règle du latéral-frontal, en art martial on m’a appris à éviter les pleins et à tirer profit des vides. Attaquer là où l’adversaire n’est pas en position de se défendre, on fait donc évoluer le rythme du combat, on habitue l’adversaire à nos mouvements et à nos coups pour le surprendre avec des mouvements et des coups inattendus. Puis, on le déséquilibre pour frapper sur ses côtes et son dos, partout où il est vulnérable.
Sun Tzu dit bien d’éviter l’ennemi là où il est fort et d’attaquer là où il est faible.
Exemples historiques de tactique latéral frontal
Lors de la bataille de Cannes où Hannibal offrit à son ennemi un front faible puis, en tirant profit de l’affaissement de ce front, il encercla de ses cavaliers carthaginois l’armée romaine et remporta une victoire dans une boucherie qui causa la mort de près 70 000 hommes. De cet épisode historique on peut déduire du principe latéral-frontal qu’au lieu d’éviter, il convient de réduire la force offensive de l’adversaire et de contre-attaquer sur ses points vulnérables.
Lors de la Seconde Guerre Mondiale, Isuroko Yamamoto mit aussi ce principe en action lorsqu’il utilisa les porte-avions pour frapper la marine américaine à Pearl Harbor. En attaquant la marine américaine sur cette île qu’est Hawaï, position clé pour le contrôle du Pacifique, mais mal défendue, il évitait la confrontation frontale contre la bordure du Pacifique du territoire des États-Unis. Puis, en employant une méthode inédite, les avions Kamikaze, il réduisit la force offensive de la marine américaine. Cette attaque-surprise et ce changement d’utilisation des armes prit la marine américaine au dépourvu et lui infligea une cuisante défaite.
Ainsi, partant de l’hypothèse que la règle du latéral-frontal est une loi universelle de l’art de la stratégie, alors elle devrait en toute normalité s’observer dans d’autres thématiques.
Aussi, avant de poursuivre mon développement, il vaut mieux définir désormais une formulation universelle de ce principe.
Je prends le parti de reformuler ce principe en :
« Éviter le fort, frapper le faible. »
Après la formulation « Tout l’art de la stratégie est duperie principe d’universalité » d’un précédent article, force est de constater que ce principe ne paraît pas non plus très honorable.
Je pense que c’est un bon signe.
En parlant de choses peu honorables. Parlons politique.
Bien évidemment, ce titre est une boutade. La politique et les politiques lorsqu’ils ont l’amour du service publique, la moralité et le sens du sacrifice sont autant, sinon plus, estimables que bien d’entre nous car le seul effort que constitue la lutte politique pourrait en décourager plus d’un.
Le fort et le faible en politique dépendra du contexte. Afin d’analyser la pertinence du principe latéral-frontal, il faut nécessairement évaluer la situation en identifiant de la cible : ses points forts et ses points faibles.
Prenons Denys l’Ancien qui manquant d’argent eut recours à un nouvel impôt sur les habitants de Syracuse. Il se heurta à leur vif refus et pour éviter une opposition frontale, il laissa choir son projet. Peu de temps après, tandis que la tension fut retombée, il commanda à ses archontes de vendre en enchère le trésor du temple d’Asclépios2 sur le marché comme s’il s’agissait de biens profanes. Ce faisant, il put réunir des sommes considérables, puis contraignit sous peine de mort la restitution au temple de tous biens dédiés à Asclépios.
Ce stratagème est un exemple de l’application du latéral-frontal, ou encore de « éviter le fort, frapper le faible. » La cible correspond au peuple de Syracuse, le fort était alors leur cohésion dans leur refus de l’impôt, le faible leur appétit et la division sociale. Il n’était pas possible à Denys l’Ancien d’imposer une mesure fiscale sans affronter la colère du peuple syracusain, cela l’aurait alors contraint à employer et encourir les risques inhérents de la violence. Il porta une action frontale afin de tester leur résistance collective, puis devinant que l’aversion de tout le peuple contre l’impôt demeurerait forte, il mena cette fois une action latérale pour profiter de la division sociale des écarts de fortune entre les habitants et de la convoitise pour les biens en or et argent. La vente aux enchères des biens du temple lui permit donc de tirer le meilleur profit des habitants les plus fortunés. Ceux qui avaient perdu les enchères ou qui n’avaient pas les moyens de participer ne se sentirent pas concernés par le malheur des victimes de cette extorsion lorsqu’elles furent contraints de rendre les biens au temple. Ce n’est pas tout, en rappelant la propriété intrinsèque des biens du temple, il donnait à sa proclamation une hauteur morale qui légitimait presque la perfidie de sa ruse. Denys l’Ancien par sa stratégie politique évita le fort de la résistance du peuple et frappa le faible de la vulnérabilité de son manque d’unité.
Avait-il deviné que le peuple s’opposerait à sa mesure fiscale et qu’il devrait recourir au latéral-frontal ? J’en doute, mais les grands stratèges s’adaptent.
Fort et faible en stratégie mercatique
Indiquons brièvement la définition de la mercatique ; il s’agit de la discipline commerciale qui vise à établir les besoins stratégiques d’une entreprise incluant la planification d’action, le développement de produits et l’optimisation des résultats.
Avant de déterminer le fort et le faible, définissons la cible de la mercatique, dans un vocable militaire ce serait l’ennemi, mais pour la mercatique c’est le groupe prospect-client. Le général André Beauffre considère que la stratégie est « l’art de faire concourir la force à atteindre les buts de la politique. » Un peu restrictif, mais par analogie, la force deviendrait les actions, les buts deviendraient les objectifs et la politique serait l’entreprise. La stratégie pour la mercatique serait donc l’art de planifier des actions afin d’atteindre les objectifs visés par l’entreprise. Les actions à mener visent par conséquent à éviter le fort et à frapper le faible qui auront été identifiés dans le groupe prospect-client.
Que sont le fort et le faible ?
En mercatique on applique traditionnellement le SWOT qui consiste à identifier les forces et les faiblesses internes à l’entreprise, les opportunités et les menaces externes à l’entreprise. Dans le cas de l’application du principe du latéral-frontal, il s’agirait d’utiliser un SWOT qui identifie plutôt les forces et faiblesses du concurrent. Mais lorsque la cible n’est pas un concurrent, mais un prospect que sont alors le fort et le faible ? Le fort doit symboliser les arguments de résistance à l’acte d’achat, tandis que le faible incarnerait les arguments de soumission à l’acte d’achat. La raison d’être de la mercatique est de vaincre les résistances à l’acte d’achat, il s’agit donc de repérer les résistances fortes ou faibles, en fonction des attentes de la cible et par rapport au produit et aux services associés, ceci afin de délaisser les dialectiques contre les résistances fortes et d’utiliser une dialectique contre les résistances faibles. La dialectique étant le recours au raisonnement afin d’emporter l’adhésion de son interlocuteur, il correspondrait, à peu de chose près, aux stades cognitifs, affectifs et conatifs que l’on rencontre dans le développement des stratégies de la mercatique.
Cas concret de stratégie latéral frontal
En avril 2010, l’éruption du volcan Eyjafjallajökull bloque les transports aériens et suscite une couverture de presse négative avec des réactions hostiles dans toute l’Europe. Les autorités publiques ont alors lancé la campagne « Inspirés par l’Islande » en tirant profit du fait que 80% des touristes qui visitent l’Islande recommandent cette destination. Ils ont invité les particuliers à raconter leur vision de l’Islande sur des sites comme Twitter, Facebook ou Vimeo et, alors que des stars comme Yoko Ono ou Eric Clapton racontaient leur expérience développant, ce faisant, une bonne couverture presse, ils installèrent des webcams à travers le pays afin de montrer en temps réel qu’il n’était pas recouvert de cendre, mais bien vert. Le succès fut conséquent avec 22 millions d’histoires créées dans le monde et des réservations touristiques au-delà des prévisions.
Identifions d’abord la cible, ou l’ennemi, il s’agit du groupe prospect-touriste apeuré par la catastrophe naturelle qui prévoyaient une autre destination pour leur vacance. Le fort de leur résistance à l’acte d’achat est l’argument de l’éruption volcanique, le faible est leur vulnérabilité aux arguments des clients, très positifs.
La règle du latéral-frontal est, ici, apparent par l’attaque latéral de la marketing relationnel : ce n’est pas d’abord sur la question de l’éruption volcanique que les autorités publiques ont axé leur communication, mais plutôt sur la recommandation de ceux qui avaient visité l’Islande. Ce faisant, ils portaient une action latérale là où personne ne les attendait, en frappant le groupe prospect-client sur sa vulnérabilité, c’est-à-dire leur faible résistance aux avis clients. Puis, tirant profit de cette première brèche ouverte sur les réticences à se rendre en Islande dans les circonstances du moment, ils obtinrent l’adhésion en réduisant la force du principal argument qui leur était opposé par une action frontale, la démonstration que le volcan n’avait rien changé à l’attrait naturel du pays.
Les autorités publiques s’étaient-elles aperçues qu’elles avaient employé la règle du latéral-frontal, que l’on peut aussi appeler le principe du « éviter le fort, frapper le faible » ? Une fois encore, j’en doute, bien souvent on use de la stratégie sans s’en apercevoir.
Alors “latéral-frontal” ou “éviter le fort, frapper le faible” ?
On a énoncé deux formulations pour signifier a priori un même principe : le latéral-frontal et « éviter le fort, frapper le faible. »
Certains pourront me rétorquer qu’il s’agit de deux principes différents, que le latéral-frontal ne prendrait pas en considération le fort et le faible de la cible. Ils commettent une erreur car le latéral-frontal ne peut réussir que si l’on tient compte du fort et du faible.
Attaquez le fort avec du fort et personne n’en réchappe vraiment. Le vainqueur est vaincu car la stratégie est l’art de vaincre sans péril. Attaquez le fort avec du faible et vous serez vaincu. Attaquez le faible avec du fort et vous vaincrez. Si le frontal est faible et le latéral est fort, c’est qu’en vérité le frontal est latéral et le latéral est frontal.
De ces deux formulations, si je devais en garder une seule, ce serait « éviter le fort, frapper le faible. » Cette formulation peut semble plus pertinente car plus universel, la formulation du latéral-frontal est au contraire source de confusion car elle laisse croire que l’application du principe du latéral-frontal impose un environnement stratégique dual qui se présenterait comme une forme géométrique avec un front et un côté.
Le principe « éviter le fort, frapper le faible » est valable quel que soit l’environnement stratégique, il est universellement vrai.
Sources documentaires en théorie de la stratégie :
Ruses diplomatiques et stratagème politiques, Polyen, éd. Mille.et.une.nuit, n°588
1Li Shimin (599-649) : prince de Tang et grand stratège, devint empereur sous le nom de Taizong et emploiera son règne à unifier la Chine.
2Dieu grec de la médecine durant l’Antiquité.