Qu’est-ce que le principe d’initiative ?

Qu’est-ce que le principe d’initiative ?

principe d'initiative

Le principe d’initiative : pierre angulaire de la victoire ?

Le général Michel Yakovleff1 considère que la prise d’initiative est la condition de la victoire.

Il définit l’initiative comme la capacité : de faire ce que je veux et de faire que l’ennemi fait ce que je veux. Il spécifie en indiquant que « l’ennemi fait ce que je veux » n’est pas la même chose que « l’ennemi ne fait pas ce qu’il veut » ou encore « l’ennemi fait ce qu’il ne veut pas. »

La nuance est qu’en principe l’ennemi n’a pas connaissance de nos intentions. Avoir de l’initiative revient à disposer d’options comme autant de cartes à jouer. La victoire repose alors sur la capacité à s’emparer des options de l’ennemi tout en conservant les siennes. Le stratège saisi l’initiative afin d’acculer l’ennemi en le privant de toutes ses options et pire encore, en lui interdisant l’initiative. S’il perd toutes ses options, le stratège est défait, mais s’il obtient au moins deux options, alors que son ennemi n’en a plus, il vainc.

Je trouve cette notion d’initiative très intéressante.

C’est pour déterminer s’il s’agit bien d’une vérité de guerre et plus encore d’un principe universel de l’art de la stratégie que j’ai choisi de rédiger cet article.

Michel YAKOVLEFF

Saint-Cyrien, officier de l’arme blindée cavalerie, breveté d’études militaires supérieurs aux États-Unis et en France, il a notamment servi douze ans à la Légion étrangères avant d’occuper les fonctions de Directeur général de la formation à l’école des blindés de Saumur. Il a rejoint le Conseiller d’État Jean-Claude Mallet pour la rédaction du Livre blanc sur la défense et la sécurité nationale, en tant qu’expert militaire et rapporteur de la Commission. Devenu Général, il sert depuis 2009 à l’OTAN, dans les états-majors de plus haut niveau.

L’initiative et l’art de la guerre

La notion d’initiative paraît à Michel Yakovleff essentiel car étant incluse dans la notion de victoire, elle est l’objectif premier du chef militaire et l’objet du raisonnement tactique. Il considère que le chef combat pour saisir l’initiative afin de l’exploiter pour plier l’ennemi à sa volonté.

La stratégie est la recherche de la victoire. Si prendre l’initiative est la condition sine qua non de la victoire, alors il semble vraisemblable que la stratégie soit la recherche de l’initiative. Mais la définition de la stratégie par ce principe d’initiative embrouille, en mon sens, notre compréhension. Le chef pourrait à tort se focaliser sur la recherche de l’initiative en oubliant quel est l’objectif de départ.

Si l’initiative est mortelle comme le dit l’auteur, je conçois que le chef se garde de laisser à son ennemi l’initiative. Et si elle s’use lorsqu’on ne l’utilise pas ce qu’il affirme aussi, alors effectivement le chef doit rapidement faire usage de cette initiative. Mais selon moi, l’objectif est essentiel car c’est ce que le chef doit atteindre. Il doit se focaliser sur son objectif stratégique sinon, oubliant le pourquoi de ses actions, il ne saura pas quoi faire de l’initiative conquise sur l’ennemi, l’initiative seule mène à un résultat stérile.

Autrement dit la somme des initiatives conquises sur l’ennemi doit amener le chef à la réalisation de son objectif principal. C’est pourquoi ma définition de la stratégie par la notion d’initiative est :

« L’art de la stratégie est la recherche de la victoire par la somme des objectifs atteints consécutifs de prises d’initiatives audacieuses. »

L’audace est un corollaire de la prise de risque prérequis de la conquête de l’initiative. La prise de l’initiative étant le moyen mis en œuvre en vue d’atteindre nos objectifs.

L’initiative pour l’auteur est la maîtrise de la décision. Cela me paraît tout-à-fait pertinent car on ne peut prendre l’initiative en restant statique par faute d’indécision. L’initiative s’acquiert par la dynamique de l’action car elle est la conséquence de la prise de risque nécessaire à l’exploitation des opportunités du fait de la vulnérabilité de l’ennemi. Il précise que ces décisions découlent des options disponibles qui sont partagées entre chacun des belligérants et constituent leur part d’initiative.

La notion d’initiative de Michel Yakovleff est, par ailleurs, à rapprocher de la notion d’engagement, réel ou possible, de Carl von Clausewitz pour qui les engagements amènent vers la conclusion, la bataille décisive qui permet d’atteindre le but politique de la guerre. L’engagement est, de la définition de Clausewitz, un combat dont le but est la défaite de l’adversaire quel que soit l’enjeu du moment. Les engagements grands ou petits, simultanés ou successifs, ayant chacun son objectif, intègrent l’engagement « guerre » qui est celui qui répond au but politique de la guerre. Le concept d’engagement est la base de toute action stratégique, la somme des engagements fructueux constituant des avantages comparables à ces options supplémentaires prises sur l’ennemi de la théorie de Michel Yakovleff. L’engagement n’a pas même besoin d’être réel pour produire ses effets, la seule possibilité de l’engagement suffit à prendre un avantage. La finalité ultime des engagements étant la destruction ou la reddition de l’ennemi, l’engagement qui produit une victoire décisive sur l’ennemi correspond à la perte totale d’options comme énoncé par Michel Yakovleff.

Mais j’apporterais une nuance entre engagement et initiative : l’engagement qui est un combat succède à la prise d’initiative.

En effet, selon Michel Yakovleff, la recherche de l’initiative n’est pas la recherche du combat, mais la conquête d’options qui rend, à terme, l’ennemi en incapacité d’opérer. L’auteur conçoit l’engagement comme un risque à mesurer afin de ne pas tenter la fortune des armes sur un seul combat dont l’aboutissement infructueux pourrait lui faire perdre toutes ses options hormis celles de périr ou de se rendre.

Tenant compte que la conquête des options dépendent bien souvent du résultat d’un combat, la différence entre le principe d’engagement et celui d’initiative tient sur un fil. En tout cas, comme pour Michel Yakovleff, c’est bien le succès des engagements tactiques qui garantissent le succès de la guerre.

Initiative et méthode de l’effet majeur

L’initiative est, pour l’instant et a priori, un principe stratégique et a donc un caractère universel. En ce cas, il serait intéressant d’exposer la méthode du raisonnement tactique de l’effet majeur appliquée dans le cadre du contexte militaire, mais qui pourrait trouver un usage transversal.

Mais avant d’aborder la méthode de l’effet majeur, analysons de quelle façon Michel Yakovleff décortique le principe d’initiative.

Ainsi, comme mentionné précédemment, l’initiative se découpe en options qui conditionnent le partage de l’initiative entre les belligérants. Ainsi, a-t-on l’initiative quand on a des options, on la prend quand on prend des options et on la perd quand on perd des options. En fait, pour reprendre les mots de l’auteur, saisir l’initiative revient à conquérir la maîtrise du « coup » suivant.

L’initiative a quatre caractéristiques :

  • relative car elle est plus ou moins partagé avec l’ennemi
  • unique à chaque échelon de la hiérarchie ;
  • transitive car elle se transmet des échelons inférieurs aux échelons supérieurs ;
  • mortelle car elle est périssable.

L’initiative apporte l’optimisation du système combattant, l’anticipation de l’action suivante, la convergence dans les actions de chaque échelon vis-à-vis du tout, et enfin l’ascendant moral. Sur un vocabulaire universel : l’initiative optimise nos systèmes d’actions, anticipe l’action suivante, favorise la convergence de nos actions tous échelons confondus et nous conforte dans nos actions.

La notion d’action inclut l’action militaire, mais aussi les actions politiques, mercatiques, etc. L’action qui découle de la prise de décision est « ce que nous faisons » en vue d’atteindre nos objectifs. La notion d’optimisation relève du « comment nous faisons. » L’anticipation définit « ce que nous faisons après ce que nous avons fait. » La convergence de nos actions à tous les échelons renvoi à la « coordination de ce que nous faisons » à chaque niveau de la hiérarchie de la structure à laquelle nous appartenons (que ce soit dans une armée ou une entreprise, etc.) La confortation permet de nous convaincre que « ce que nous faisons est ce qu’il faut faire. »

Enfin, attendu que nos actions nous amène à saisir ou exploiter l’initiative, l’auteur nous invite à utiliser le raisonnement tactique de l’effet majeur dont l’objet unique est de conceptualiser la façon dont le chef entend saisir cette initiative. Il s’agit d’une méthode dynamique car elle ne cherche pas à exploiter une faiblesse de l’ennemi en supposant ou en attendant que l’ennemi en ai une, mais à saisir ou créer une opportunité par les actions menées contre lui. Sun Tzu dit que l’on peut se rendre invulnérable, mais qu’on ne saurait provoquer la vulnérabilité de l’ennemi. Il faut attendre qu’il se rende vulnérable pour saisir l’opportunité de le vaincre. La méthode de l’effet majeur est donc un outil pour amener le chef à la seule décision qui compte, la prise et l’exploitation de l’initiative. Ce qui revient à tirer profit des opportunités consécutives de la maladresse de l’ennemi qui s’est créé lui-même des vulnérabilités. La méthode ancre le raisonnement tactique : « à partir de la situation pour en venir à la décision. » Ce faisant, elle dissocie de la notion d’effet majeur la condition de la victoire et l’achèvement de la victoire.

Le succès se décide avant la fin, c’est-à-dire dès le raisonnement tactique.

L’effet majeur selon Yakovleff

Michel Yakovleff définit l’effet majeur comme « l’effet à obtenir sur l’ennemi, en un temps et un lieu donnés. » Sa réussite garantit le succès de la mission.

L’effet majeur est l’action par laquelle le chef envisage de saisir l’initiative. L’effet majeur permet au chef d’exprimer comment il compte saisir ou préserver l’initiative. La puissance de cet outil réside donc dans son caractère dynamique : l’initiative résulte d’une tension entre des forces opposées. L’effet majeur est l’acte par lequel un chef décide de conquérir une part de l’initiative sur son adversaire. Pour l’échelon tactique, le succès est la conquête d’une option ou l’annulation d’une option détenue par l’ennemi.

Ainsi, que ce soit à l’échelle tactique, opératif ou stratégique, l’effet majeur et l’initiative sont des notions concomitantes. L’effet majeur possède les mêmes caractéristiques de relativité, d’unicité, de transitivité et de mortalité. Au niveau pratique, le choix de cette méthode amène à la conception de l’idée de la manœuvre dans ce que veut obtenir le chef sur l’ennemi, le terrain, le temps et les moyens.

Si l’initiative est également partagée, la manœuvre se découpe alors en trois phases :

  • la préparation de la saisie de l’initiative ;
  • la saisie de l’initiative ;
  • l’exploitation de l’initiative.

La phase de prise d’initiative est plus courte comparativement à la phase qui précède et celle qui succède. La phase de préparation est celle qui met le plus de temps à se développer, tandis que la phase d’exploitation a une haute amplitude brève, mais avec une basse amplitude qui dure dans le temps, ce qui explique l’effet cumulatif des prises d’initiative.

Traduit dans une définition universelle, l’effet majeur de Michel Yakovleff devient :

« L’effet majeur est l’attitude suscitée sur la cible dans un temps et un espace donnés. »

Si l’attitude est celle attendue, elle garantit le succès de la prise d’initiative. L’effet majeur est l’action qui suscite cette attitude et par laquelle le stratège saisit cette initiative.

Le principe universel d’initiative de l’art de la stratégie

Au vu de tout ce qui a pu être dit, le principe d’initiative est un principe universel de l’art de la stratégie.

L’initiative est une clé de la victoire. Elle s’obtient par le dynamisme de l’action. La posséder est nécessaire à la victoire et en déposséder totalement l’adversaire garantit la victoire. Créez la surprise pour la saisir car c’est par la duperie que l’on prend l’avantage de l’initiative. C’est aussi par l’initiative que l’on crée la surprise : la prise de l’initiative, exprimée dans une décision qui vise un objectif donné, est en mesure de déclencher une chaîne de succès que l’adversaire aura du mal à enrayer.

Car, au contraire, vidée de son objectif, l’initiative ne produit qu’un résultat stérile : l’action est vaine et la décision comme hébété. Perdue. Elle finit dans la main de l’adversaire.

Voilà une situation fort périlleuse.

Sources documentaires :

1Tactique théorique, 3ième édition, éd. ECONOMICA, Stratégies & Doctrines, Paris, 2016, pp.47-62.


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