La stratégie obéit-elle à des lois universelles ?

La stratégie obéit-elle à des lois universelles ?

principe d'universalité

« La stratégie est l’art de créer de la puissance » Lawrence Freedman, Strategy (2013)

Tout d’abord rappelons la définition du mot stratégie. Cela vient du grec stratos qui signifie « armée » et ageîn qui signifie « conduire » wikipédia ; il s’agit donc de la science qui étudie la façon par laquelle on conduit une armée. Mais pour la conduire où ?

Pour répondre à cette question, il faut définir le pourquoi d’une armée. Une armée est l’expression d’une force que l’on emploie dans un contexte de guerre. La notion de « force » exigerait une définition spécifique, mais cela sera l’objet d’un autre article. Carl von Clausewitz dit que la guerre est la continuité de la politique par d’autres moyens. Je le crois. En mon sens, la guerre n’est qu’une méthode pour arriver à ses fins. Si l’on veut arriver à ses fins, c’est que l’on a un but à atteindre. L’armée est donc l’instrument qui permet d’atteindre des objectifs. Ici, militaire.

Mais dans l’absolu quel est ce but ? La recherche de la victoire bien entendu ! Une force s’oppose à une autre pour l’emporter et pas pour se regarder dans le blanc des yeux.

La stratégie est donc la science qui étudie la conduite des armées in fine en direction de la victoire. Pour André Beaufre la stratégie est l’art de la dialectique des forces ou encore l’art de la dialectique des volontés utilisant la force pour résoudre leur conflit, une définition abstraite qui rejoint finalement mon propos. C’est donc dans le souci d’arriver à la victoire que les théoriciens de la guerre, Sun Tzu pour n’en citer qu’un, vont poser des règles ou des principes à respecter pour atteindre le Saint Graal de la victoire ou, à défaut, ne pas connaître la défaite et l’anéantissement.

Très tôt, les stratèges se sont aperçus que l’application de stratégies fructueuses par le passé s’étaient révélées désastreuses par la suite. Cela en a amené certains à dédaigner la notion de principes universels partant de l’axiome que dans la guerre la réussite découlait seulement de la chance et de la ruse. Certes, chance et ruse ont leur part dans la victoire, mais elles n’excluent pas l’existence de règles, encore faut-il que ces règles soient à propos.

Qiao Liang et Wang Xiangsui considèrent qu’un art militaire vraiment vivant est comme une coquille vide qui ne comptent que sur la raison et la réflexion pour répondre à tous les changements. C’est en remplissant cette coquille d’éléments concrets que l’on peut définir une orientation à la stratégie afin d’atteindre les objectifs. Pour autant, ils n’excluent pas l’existence de règles universelles ; il s’agit simplement d’utiliser les bonnes règles, autrement dit, de mettre dans la coquille les bons éléments.

Mais peut-on qualifier d’universel des règles ou des principes qui ne sont pas toujours bons ?

Qu’entendons-nous par universel ?

Le terme « universel » recouvre plusieurs définitions ; nous allons poser arbitrairement notre propre interprétation.

Est qualifié d’universel ce qui est vrai sans tenir compte du temps, de l’espace et de la matière. Le temps est passé, présent ou futur. L’espace est ici et ailleurs. La matière est la consistance des choses réelles et virtuelles. Les choses recouvrent tout ce qui relève de la physique et de la biologie, notamment nos constructions techniques et culturelles. La notion de construction embrasse les réalisations physiquement palpables, mais aussi les accomplissements intellectuels ou spirituels.

La technique dans l’analyse de la stratégie est alors l’ensemble des outils qui sont employés lors de la planification et la réalisation d’une stratégie. Ces outils évoluent dans le temps, mais leur développement n’entraînent pas de transformation dans les grands principes qui structurent l’art de la stratégie. C’est pourquoi j’insiste pour affirmer qu’il n’existe pas de révolution technique qui puisse engendrer une révolution des arts stratégiques.

La culture peut se définir comme l’expression de la subjectivité de toutes les parties prenantes, c’est-à-dire un ensemble de codes qui ne relèvent pas de la raison mais dont l’implication dans la réussite ou l’échec d’une stratégie est fondamentale. En ce sens, les différenciations faites sur la stratégie selon des thématiques diverses comme la guerre, la politique, la vente, la mercatique, la communication, etc., relèveraient de conceptions parfaitement subjectives.

L’art de la stratégie est un tout.

Avec une telle définition, l’existence de lois universelles de la stratégie parait improbable. D’autant que les exemples du passé tendent à réfuter cette hypothèse. Cependant, l’échec dans la mise en application d’une règle universelle de la stratégie ne signifie pas que la règle est fausse, mais peut simplement montrer une mauvaise utilisation de la règle. Les règles universelles se bornent aux limites des principes qui les régissent, et se heurtent aux limites des principes qui en régissent d’autre.

Lorsque deux règles universelles qui s’invalident l’une l’autre se portent à notre connaissance, comment déterminer celle à utiliser ?

Quant deux entreprises concurrentes s’affrontent en appliquant chacune une règle universelle pour prendre le marché de l’autre, comment savoir laquelle des deux règles se révélera la plus forte ? L’application de ces règles universelles ouvre la voie à la victoire, ou à la réussite, mais seulement pour les stratèges les plus adroits. Devant la complexité croissante du monde, la lecture de notre environnement stratégique est devenue plus difficile, et pourtant nous disposons de bien plus d’informations qu’autrefois et nos outils d’analyse sont plus précis.

C’est dire tout le chemin qu’il reste encore à parcourir pour nous approprier les lois universelles de la stratégie.

La règle stratégique dans le chaos

De ce fait, la tentation d’accéder à une lecture simplifiée de l’art de la stratégie est très tentante.

Mais ce serait oublier la nature intrinsèquement chaotique dans laquelle les principes stratégiques s’articulent. En effet, une application stricto sensu des règles de l’art de la stratégie offre rarement des résultats satisfaisants. La cause est la vision biaisée que nous avons de la situation au moment où nous choisissons d’appliquer telle ou telle règle stratégique.

Il faudrait parvenir à exploiter les principes stratégiques qui sont en action lorsque nous cherchons à exercer l’art de la stratégie dans le chaos d’une situation. Mais le propre d’une situation chaotique c’est qu’elle est illisible par définition. C’est pour cette raison que le théoricien de la stratégie approche l’objet de son étude en recherchant des lois universelles. Il veut poser les fondations de l’art de la stratégie afin de faciliter la lecture stratégique d’une situation apparemment insoluble. Ce faisant, il structure ce qui a priori ne peut pas se structurer : l’art de la stratégie.

Est-ce à dire que c’est une erreur ?

Il faut édifier les lois de la stratégie afin que les stratèges se les approprient. L’étude de l’art de la stratégie est comme l’étude des arts martiaux, l’esprit enregistre les bonnes théories comme le corps enregistre les bons mouvements. C’est en ancrant ces règles dans l’esprit du stratège que nous lui donnons les outils pour approcher la décision et l’action qui lui ouvriront la voie de la victoire. Mais, attention ! Si le théoricien peut oublier le chaos du plus grand de tous les Arts, celui qui les gouverne tous, le stratège ne doit pas occulter qu’il évolue dans un univers incertain : la souplesse par l’adaptabilité est une des qualités indispensable du stratège.

Ainsi, le théoricien structure l’art de la stratégie autour d’un ensemble de règles universelles, tandis que le stratège exploite ces règles stratégiques dans le chaos.
Théoricien et stratège se complètent. Là où le théoricien médite et proclame, l’action du stratège conforte ou affadit la véracité de ces règles universelles.

Et ces règles de l’art de la stratégie, quelles sont-elles ?

Les règles universelles de la stratégie vous les avez approché. L’art de la stratégie s’applique partout, il suffit simplement d’examiner le Monde ou les petites choses de la vie.

Gagner une guerre, de la stratégie. Remporter une part de marché, de la stratégie. Convaincre un contradicteur, de la stratégie. Séduire un partenaire, de la stratégie. Apaiser un conflit, de la stratégie. Se battre, de la stratégie. Vaincre ses peurs, de la stratégie. Fuir un danger mortel, de la stratégie.

À chacune de ces situations vous prenez des décisions qui résultent de la raison ou de l’émotion, mais où des choix stratégiques s’imposent à vous que vous choisissez de taire ou d’écouter. Mais quelles sont ces règles qui ont murmuré à vos oreilles ? 

Sun Tzu dit : Tout l’art de la guerre est duperie. L’ermite stratège rétorque : Tout l’art de la stratégie est duperie.

La duperie, autrement dit la ruse ou la tromperie, sont une des règles universelles de l’art de la stratégie. La duperie ne concerne pas que la guerre, la communication politique ou la mercatique commerciale procèdent en partie d’un jeu de dupe. Cela ne paraît pas très glorieux, mais le stratège n’est pas un héros ! Il ne brille pas par sa bravoure et pour le simplet l’excellence d’une stratégie passera pour de la chance. Pour Sun Tzu les victoires d’un maître en art militaire ne valaient à celui-ci ni une réputation de sagesse, ni le mérite de la vaillance car il vainc un ennemi déjà défait. Je dis que le meilleur savoir-faire n’est pas de résoudre cent difficultés dans cent stratégies, mais plutôt de réussir sans difficulté. Si duper ouvre la voie au succès, c’est que telle est la voie à suivre. Je ne fais pas l’apologie de la malhonnêteté car cela doit se faire dans les règles, en respectant la loi et la morale. Loi et morale sont des éléments à tenir compte dans l’élaboration de votre stratégie, n’allez pas promettre la lune si vous ne pouvez pas la décrocher du ciel car le retour de bâton se fera sentir.

À la lumière de ce qui vient d’être dit, on pourrait considérer qu’il faut toujours obéir à la loi et à la morale, en fait, il le faut aussi longtemps que vous ne ferez ni la morale, ni la loi. Mais avec ou sans duperie, la planification d’une stratégie a pour prérequis la connaissance de soi-même et des autres. Sun Tzu dit : « Connaissez l’ennemi et connaissez-vous vous-même. En cent batailles vous ne courrez jamais aucun risque. »

Ce qui vaut pour la guerre, vaut pour le reste.

L’analyse interne de l’entreprise et l’analyse externe des concurrents relèvent de ce principe ; aucun entreprise ne peut subsister sans étudier ses forces et ses faiblesses. Elle peut encore moins s’élever sans déterminer les points forts et les points faibles de ses concurrents directs ou indirects. Si on peut se rendre invulnérable en identifiant les menaces, on ne saurait saisir les opportunités de vaincre sans d’abord déceler les faiblesses de ses concurrents.

La célèbre maxime susdite de Sun Tzu est donc une autre de ces règles universelles, il existe encore de nombreuses règles à énoncer, mais pour l’heure, clôturons ce premier article.

Universalisme et stratégie

À travers la rédaction de cet article, je voulais vous convaincre de la nature intrinsèquement universelle des lois de la stratégie. J’espère donc vous avoir convaincu.

L’art de la stratégie peut s’apparenter à un savoir-faire que l’on doit appliquer à toutes les thématiques, la politique, la guerre, la mercatique, la vente, les relations humaines, etc., afin d’atteindre les objectifs fixés. Ce savoir-faire vous donnera les clés pour atteindre vos objectifs dans votre vie professionnelle ou votre votre vie personnelle. C’est pourquoi j’étudie cet art pour lui-même et c’est aussi pour cette raison que vous le devriez aussi.

La nature universelle de ces lois tend à faire de cette discipline une science à part entière et plus encore, un symposium de toutes les sciences car on pourrait bien trouver l’art de la stratégie en toutes choses.

Tout l’enjeu dans l’étude de l’art de la stratégie consiste alors à dissocier ce qui relève des lois universelles de ce qui est purement contextuel. Les auteurs militaires et politiques du passé ont été les premiers à appréhender ces lois, mais ils n’ont pas su décontextualiser leur discours pour atteindre une vision plus globale : ils n’ont pas su étudier l’art de la stratégie pour elle-même. Je ne prétends pas être plus sage ou plus malin qu’eux, je ne prétends pas non plus connaître ses lois, ce que je veux c’est partager et vous transmettre ma passion de l’art de la stratégie, c’est proposer une étude originale de celle-ci.

Maintenant cet article achevé, qui pourra être réédité dans les années à venir, je vais poursuivre mes recherches en m’appuyant sur des thématiques spécifiques et des expériences concrètes. Si vous-même êtes confrontés à une difficulté dont vous cherchez une réponse stratégique, contactez moi et je vous apporterai mon soutien, mais attention car la réponse ne sera pas forcément celle que vous espérez entendre.

N’hésitez pas à laisser vos avis sur cet article.

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *